Une riposte à l’offensive américaine mondiale

First published: Oct 2004

Voici la traduction en français de la majeure partie de la brochure rédigée par Socialist Action en vue du Forum Social Européen qui a eu lieu à Londres en 2004. A part les parties traitant du Forum social non traduites, la brochure reste un document de référence pour analyser la situation internationale et les rapports de forces mondiaux, même s’il faudrait y intégrer les développements récents. Le lecteur trouvera bien entendu des références aux forums sociaux qu’il lui faudra re-situer dans le contexte de la brochure.

1) LA SITUATION POLITIQUE INTERNATIONALE ACTUELLE

Aujourd’hui ce qui domine l’actualité politique internationale sont les effets de la guerre en Irak, à savoir la résistance prolongée à l’occupation dans ce pays, le mouvement international contre la guerre, et l’impact de tout ceci sur de nombreux pays. Cette situation politique immédiate à la fois regroupe, et repose sur, un certain nombre de tendances politiques, sociales et économiques déjà observées sur le long terme :

• Depuis 30 ans, l’économie capitaliste mondiale subit un ralentissement. En effet au cours de cette période, chaque cycle économique international a vu sa croissance baisser par rapport au cycle précédent. Cette baisse continuelle n’exclut pas des périodes de remontée au sein même des cycles. Mais en tout cas, il n’y a pas, pour le capitalisme international, de perspective immédiate de retour au type de croissance économique harmonieuse et quasi universelle qu’il a pu connaître, par exemple, après la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1973.

• Sur le plan international et pratiquement au sein de chaque pays, la société capitaliste crée une polarisation sociale de plus en plus profonde. Au niveau international, l’inégalité entre les pays s’est creusée à un point jamais encore atteint dans l’histoire de l’humanité. Des régions entières d’Afrique, de même que certaines zones d’Asie et d’Amérique latine, se désintègrent socialement. En Grande Bretagne, comme dans la plupart des pays capitalistes développés, toutes les tendances vers plus d’égalité de l’après la 2ème guerre mondiale ont été inversées et les inégalités en termes de salaires et de conditions de vie se sont accrues.

• Au niveau social, la prolétarisation du monde continue. De nouvelles classes ouvrières énormes apparaissent en Chine, Inde, Asie du Sud Est et Amérique latine. Ainsi, et pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, la majorité de la population mondiale vivra bientôt dans les villes. Dans les économies capitalistes avancées, la prolétarisation s’étend aussi grâce à l’entrée massive des femmes dans le monde du travail, la transformation des travailleurs indépendants en salariés, la réduction continue du nombre de fermiers, et enfin la pénétration du grand capital dans la restauration, la vente au détail (grandes surfaces) et le secteur des services dont l’expansion se fait aux dépens de l’industrie.

• Sur le plan idéologique, à la fin des années 80 et au début des années 90, le capitalisme a essayé de promouvoir une vision triomphaliste de l’adoption universelle de ses valeurs. La forme la plus extrême en fut la proclamation de la « fin de l’histoire ». L’impact de ces affirmations fut cependant très relativisé par les problèmes économiques rencontrés à la fin des années 90 avec la crise de l’Asie du Sud Est, plus encore par la guerre en Irak. Le mouvement pour une justice sociale, (FSE et FSI), est devenu l’alternative la plus connue à ce projet capitaliste et celle qui organise le plus de gens, bien qu’il existe d’autres forces de par le monde qui se battent aussi contre les effets du néo-libéralisme sous d’autres étendards (religieux, marxistes, écologiques, patriotiques etc…)

• Confronté à de l’opposition (dûe à la dégradation des conditions sociales) et à une remise en cause de son hégémonie idéologique, le capitalisme a recours à des idéologies réactionnaires et à des mouvements politiques extrêmes – avant tout au racisme et, dans certaines couches, au fascisme. L’hystérie raciste contre les demandeurs d’asile et autres victimes de l’exploitation capitaliste se répand dans les mass média. L’extrême droite est devenue une force significative dans la plupart des pays européens. On voit apparaître des tentatives d’ « humaniser » des personnages tels qu’Hitler. Le but poursuivi n’est pas tant d’installer des régimes fascistes que d’essayer de gagner le soutien de la population des pays capitalistes développés à l’idée de mener des guerres telles qu’en Irak, en niant la qualité d’êtres humains à ceux qui seront tués en grand nombre par de tels assauts, et ainsi de détourner l’attention de la majorité de la population des pays capitalistes développés du véritable responsable de leurs maux, à savoir le capitalisme. Ce racisme répugnant, et ce déni ouvert de l’égalité des droits entre tous les êtres humains, corrompent la société dans ses fondements et sapent la base de toute pensée scientifique rationnelle.

La situation mondiale soulève donc des questions politiques essentielles pour tous ceux qui s’opposent à la guerre en Irak et ceux qui soutiennent le FSE. Des différences et des débats sur celles-ci seront inévitables au fur et à mesure que le mouvement se construira. Néanmoins, de par l’importance des enjeux, nous ne pouvons nous permettre de mettre en danger l’unité dans l’action du mouvement. La présente brochure est donc une contribution à ce débat.

2) LA GUERRE EN IRAK ET SES LENDEMAINS

Une des questions clef que le FSE doit explicitement résoudre est l’évaluation de la situation internationale générale. Quel est le rapport de forces global au niveau international ? Qui est à l’offensive et qui est sur la défensive ? Quelles sont les possibilités de lutte et les trajectoires possibles actuellement ? Les réponses, explicites ou implicites, données à ces questions détermineront les questions d’alliances, de revendications et de tactiques.

L’ampleur du mouvement contre la guerre en Irak

Remarquons que c’est la première fois au cours de cette décennie que l’Administration américaine s’est trouvée confrontée à une résistance de masse face à son offensive militaire en Irak. Le nombre de participants aux manifestations anti-guerre a même dépassé celui des opposants à la guerre du Vietnam il y a quarante ans. Le débat fut très intense dans les médias. Même dans des pays dont les gouvernements soutenaient la guerre, tels que l’Espagne et l’Italie, la majorité des gens s’y est opposée avec force. En Grande Bretagne, malgré le soutien à la guerre des deux directions des partis politiques (Labour et Tory), dans l’ensemble l’opinion publique a penché vers le refus de la guerre et s’est de plus en plus affirmée dans ce sens. Les Nations Unies se sont trouvées sérieusement divisées sur la question. Mais le plus important reste la résistance continue et grandissante à l’invasion au sein même de l’Irak, qui a forcé les gouvernements américain et britannique à dévoiler de plus en plus clairement le caractère brutal et intéressé de leur invasion. Cette lutte pose, pour la première fois depuis le début des années 80, la possibilité d’une défaite américaine sur un projet international essentiel.

Ce mouvement de masse anti-guerre fait suite à toute une série de luttes contre les politiques néo-libérales depuis 10 ans. Les étapes clefs en ont été le soulèvement zapatiste en 1994, la Première Rencontre Intercontinentale pour l’Humanité et contre le Néolibéralisme dans les Chiapas en 1996, les manifestations contre l’OMC à Seattle en 1999, et les manifestations internationales à Prague, Stockholm, Bruxelles, Bangkok, Washington, Barcelone, Gênes, et Florence.

C’est la convergence de ces divers événements qui a, en quelque sorte, ouvert la voie aux Forums Sociaux Internationaux de Porto Alegre (2001-2003) et Mumbaï (2004), et aux Forums Européens depuis 2002. Simultanément, de grandes grèves contre des politiques néo-libérales spécifiques ont eu lieu dans un certain nombre de pays européens (en autres en France et en Italie). Un gouvernement de gauche dirigé par Lula a été élu au Brésil, un autre a réussi à se maintenir au pouvoir au Venezuela avec Chavez, et dans la plupart des pays d’Amérique Latine l’opposition au néo-libéralisme s’accroît.

Les politiques néo-libérales préconisées par le FMI dans les années 90 ont mené à des désastres économiques patents en Asie du Sud Est, en Russie, au Brésil et en Argentine. Elles ont dû être abandonnées dans la plupart de ces pays, qui connaissent depuis une forte croissance économique ( Russie et Argentine).

Victoires des perspectives stratégiques américaines

Malgré cette résistance et les difficultés rencontrées par l’impérialisme américain en Irak, il est clair que ce dernier a néanmoins réussi à imposer ses objectifs stratégiques principaux au nom de la guerre, ridiculement mal nommée, « contre le terrorisme ». Les Etats Unis occupent maintenant l’Afghanistan et l’Irak, ont des bases militaires en Asie Centrale, en Ouzbekistan et au Kurguistan, et le nouveau régime de Géorgie leur est acquis. En Israel, le régime de Sharon poursuit et approfondit sa politique sanglante de répression contre les palestiniens. La Libye s’est trouvée forcée d’établir des relations de complaisance avec les USA. La pression monte contre l’Iran et la Syrie. Et cela en l’absence de mobilisation des peuples arabes ou d’autres qui puisse inverser le processus en cours. A travers l’Europe, la remise en cause de l’Etat providence s’intensifie et la montée des partis racistes extrêmistes est dans la plupart des cas, y compris en Grande Bretagne, plus rapide que celle des partis de gauche. Aux Etats Unis eux-mêmes, Howard Dean, le candidat du Parti Démocrate le plus opposé à la guerre, a été battu aux primaires. Quant à John Kerry, le seul candidat alternatif à Bush ayant une chance d’être élu, s’il l’était, à part quelques modifications relativement mineures, maintiendrait pour l’essentiel la politique actuelle des USA.

Le rapport de forces international

En outre, les USA se font menaçants envers un certain nombre d’autres pays: l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela et la Palestine, au cas où une éventuelle défaite en Irak deviendrait inévitable. En conséquence, malgré l’ampleur de la réaction populaire contre la guerre en Irak et le militantisme de ses participants, il nous faut admettre que cela n’a pas permis de renverser la politique de l’Administration américaine et de ses alliés et qu’aucun des objectifs internationaux importants du mouvement pour la justice sociale n’a été atteint.

L’impérialisme américain garde donc l’offensive tandis que le mouvement mondial pour une justice sociale est lui sur la défensive – même si les USA sont confrontés à plus de résistance qu’auparavant. C’est là la seule vision réaliste de la situation politique nationale et internationale. Ce n’est qu’en restant strictement objectifs et non par nos vœux ou nos désirs que nous pourrons élaborer une stratégie efficace pour vaincre un ennemi aussi puissant que les Etats Unis. Sans une telle évaluation réaliste, le mouvement se fixera des objectifs qui ou bien n’auront pas le soutien du plus grand nombre, ou alors qui mèneront à des reculs avec des défaites inutiles de groupes individuels ou de luttes. De plus, seule une vision objective permet de profiter de chaque situation politique afin de consolider quelques avancées.

Ainsi bien que nous préférerions affirmer que le mouvement populaire est à l’offensive sur le plan international, qu’il repousse les attaques des capitalistes et gagne des positions – comme ce fut le cas après la deuxième guerre mondiale jusqu’en 1979 – ce ne serait pas la vérité. La tâche du mouvement mondial pour une justice sociale est donc de s’assurer que la minorité significative qui se bat contre l’offensive impérialiste, le fasse avec le plus de succès et gagne le soutien le plus large sur des questions spécifiques afin qu’à terme, l’offensive impérialiste soit repoussée. Deuxièmement, il s’agit d’une part de trouver comment, à terme le mouvement pour la justice sociale peut devenir majoritaire, à la fois localement et internationalement, ce qui seul permettra de repousser les attaques impérialistes qui vont s’intensifier dans la prochaine période, et d’autre part comment passer à l’offensive pour atteindre nos buts.
Cette situation générale actuelle détermine donc le terrain où se mène – et doit continuer de se mener – la lutte sociale. A savoir essentiellement, pour le moment, le terrain défensif : contre le néo-libéralisme, contre la guerre, le racisme, et l’extrême droite. La tactique qu’il nous faut adopter pour ce combat est la création d’alliances les plus larges possible dans l’action contre les offensives impérialistes et néo-libérales. Les différences idéologiques, politiques ou autres, tout en étant discutées, ne doivent pas empêcher le maximum d’unité dans l’action contre ces offensives des USA et autres forces capitalistes.

Pour nous orienter dans cette situation, il nous faut une attitude claire envers les principales forces sociales qui opèrent sur le plan international et en Grande Bretagne.

3) LA SITUATION ECONOMIQUE MONDIALE ET L’AGRESSION MILITAIRE AMERICAINE CROISSANTE

Une ère d’agression militaire permanente par les américains.

Derrière toutes ces évolutions politiques au niveau mondial, il y a le déclin de l’économie capitaliste internationale des dernières trois décennies. Les forces spécifiques qui sous-tendent ce déclin poussent l’impérialisme américain dans la voie quasi-permanente de l’agression militaire. Cette dernière étant un des traits les plus remarquables et décisifs de la situation actuelle, nous devons en comprendre ses racines économiques. L’impérialisme américain ne choisit pas la tension et l’agression militaires. Elles sont la conséquence inéluctable de la situation nationale et mondiale dans laquelle il se trouve.

Trois décennies de ralentissement économique mondial

Dans les années 90, le néo-libéralisme et l’impérialisme proclamaient que le capitalisme mondial et américain étaient entrés dans une nouvelle vague de croissance économique sans précédent. On parlait même d’une « nouvelle économie ». Cette croissance américaine devenait un nouveau paradigme que les autres pays se devaient de suivre.

Les faits ont montré que tout ceci était non seulement totalement faux mais n’était qu’une propagande grossière montée à partir de l’extrapolation de quelques événements à sensation sortis de leur contexte, et sur le refus d’analyser les tendances générales dans leur ensemble. En fait l’économie internationale est dans une phase de ralentissement depuis la crise de 1973-75, et des secteurs de plus en plus larges sont entrés en crise ou stagnent. Cette évolution n’a fait que continuer dans les années 90.

L’exploitation américaine de l’économie mondiale

Il est, en outre, impossible pour le reste de la planète de suivre le modèle américain. En effet, ce dernier repose sur l’extraction d’énormes quantités de capitaux venant du monde entier, comme le montre le déficit de la balance des paiements américaine qui atteint maintenant plus de 600 milliards par an, c’est-à-dire 1,5 milliards par jour, 5% du PNB, soit presque un tiers de l’accumulation du capital américaine. Le monde dans son ensemble ne peut extraire du capital net de lui-même. Il est donc impossible pour le reste du monde de suivre le modèle impérialiste américain. Les tendances cumulatives actuelles de l’économie mondiale sont les suivantes :

• Dans les années 70 les économies africaines se sont enfoncées dans une crise dont trois décennies plus tard, elles ne se sont pas encore remises. Une grande partie de l’Afrique sud saharienne est ravagée socialement et économiquement avec des millions de morts du fait de la guerre, de la pauvreté et de maladies qu’on pourrait prévenir et maîtriser.

• Au cours des années 80, la plupart des pays d’Amérique Latine ont connu une stagnation économique relative. Le continent n’a pas récupéré son taux de croissance antérieur malgré la reprise partielle de certaines économies dans les années 90.

• La plus grande partie des pays d’Europe de l’Est et l’entièreté de l’ex URSS sont entrées dans une période de déclin économique catastrophique après la désintégration de l’Union soviétique en 1989-91 – connaissant la plus grande perte de production en temps de paix jamais connue dans l’histoire, souvent supérieure à 50%. Une décennie après, l’Europe de l’Est n’a toujours pas retrouvé son niveau antérieur et cela prendra probablement environ 20 ans pour que l’ex URSS y arrive.

• Dans les années 90, le Japon a connu une longue période de stagnation économique relative, après 40 ans de croissance rapide, avec l’effondrement de la « bubble economy » de la fin des années 80.

• En 1997-98, l’Asie du Sud Est, après plusieurs décennies d’une croissance économique rapide, a souffert d’une crise intense. Bien que la croissance ait redémarré, son taux, de 3 à 5% par an, est bien plus bas qu’antérieurement.

• L’Europe de l’Ouest et la zone euro ont aussi stagné dans les années 90. Cette tendance s’est encore accentuée lors de phase descendante du cycle économique depuis 2000.

• Seule la Chine et, à un moindre degré, l’Inde, parmi les principales économies en dehors des USA, continuent de démontrer une croissance rapide à long terme.

Le ralentissement progressif et extensif – voire dans certains cas le déclin – de zones de plus en plus grandes de l’économie mondiale crée une décélération progressive de celle-ci. Les taux mondiaux d’investissement sont en baisse et le potentiel de croissance économique à long terme doit donc être lui aussi révisé à la baisse.

Le parasitisme américain de l’économie mondiale

A la lumière de ces données réelles de l’économie mondiale, la propagande visant à présenter les USA comme le paradigme d’une nouvelle croissance rapide se révèle complètement erronée. Les performances de l’économie américaine ne semblent impressionnantes que si on les compare au reste du monde qui, lui, a sévèrement décéléré. Les USA n’ont fait que récupérer leur taux de croissance habituel depuis un siècle, à savoir 3 à 3,5% par an, alors que le reste de l’économie mondiale a gravement baissé en dessous de son taux de croissance du siècle passé.

La croissance américaine n’est financée que par l’énorme déficit de sa balance des paiements. Aussi, loin de représenter un paradigme, l’économie américaine n’est qu’un parasite qui absorbe le capital du reste du monde et qui, de ce fait, la ralentit.

L’économie et la politique de l’impérialisme américain

L’énorme déficit de la balance des paiements américaine – plus de 600 milliards par an – montre aussi que, contrairement aux fréquentes assertions des médias et des dirigeants, l’économie américaine n’est pas compétitive au taux de change habituel du dollar. Mais, une dévaluation substantielle et prolongée du dollar pour réduire ce déficit et diminuer le besoin d’un flux de capital venant de l’étranger, pèserait lourdement sur le niveau de vie américain et créerait une instabilité politique aux USA. Nous voyons là le lien direct entre la situation économique des USA et sa situation politique.

Ainsi Nixon et Carter, les deux présidents américains qui dans l’histoire récente des USA ont dévalué le dollar – la pré condition pour limiter la dépendance des USA envers le capital étranger – ont, tous deux, été éjectés de leur poste de façon ignoble. A l’inverse, Reagan et Clinton, qui ont maintenu un taux de change élevé du dollar, et par conséquent des importations bon marché de biens de consommation et des entrées importantes de capitaux, ont été les seuls présidents américains qui aient servi jusqu’à la fin de leur mandat.

La non compétitivité de l’économie américaine et l’agression militaire américaine

Les USA ont donc choisi la voie de l’agression militaire car leur économie n’est pas compétitive aux taux de change courants et qu’ils courent un risque de déstabilisation politique interne majeure s’ils dévaluaient le dollar de façon prolongée et substantielle. Si on laissait s’exercer les forces purement économiques, les USA perdraient de plus en plus leur place concurrentielle face à leurs rivaux européens et asiatiques. Une érosion progressive du dollar comme monnaie de réserve aurait alors lieu aux dépens de l’euro, réduisant d’autant plus leurs possibilités de manœuvres. Par conséquent, si on laissait les choses se décider sur le plan strictement économique, on assisterait à une dégradation progressive de l’hégémonie économique américaine. Et les tentatives d’y contrecarrer par des moyens économiques, à savoir une dévaluation prolongée et une baisse du niveau de vie américain, provoqueraient une instabilité politique et la défaite probable des gouvernements qui les appliqueraient.

Le seul moyen qui reste aux USA pour essayer d’empêcher que leur hégémonie ne soit sapée, tout en maintenant une stabilité politique interne, c’est de tenter de déplacer les luttes du terrain de la concurrence économique à celui du pouvoir militaire. Sur ce plan, leur hégémonie loin d’avoir diminué, a brutalement augmenté après la désintégration de l’URSS. Les exemples suivants illustrent leurs tentatives d’utilisation du pouvoir militaire pour résoudre des problèmes économiques à leur avantage:

• En Irak, grâce à l’intervention militaire, les USA ont cherché à détruire l’avantage concurrentiel des compagnies françaises, russes et chinoises et, par le contrôle du pétrole irakien, à favoriser les corporations américaines

• Au Moyen Orient, ils ont essayé de saper les positions des entreprises européennes en mettant en avant l’ Etat fantoche d’Israel qui est à leur solde, et en intensifiant la soumission des régimes arabes de la région.

• En Asie centrale, ils établissent des bases militaires sur le territoire de l’ex URSS et cherchent à re-diriger les pipelines vers des pays « clients » des USA comme la Turquie ou la Géorgie, dans le désir de retirer aux compagnies russes le contrôle des réserves pétrolières.

• En Europe de l’Est, ils tentent d’utiliser les régimes clientélistes réactionnaires de Pologne, des Républiques Baltes et d’autres Etats pour saper la positons de leurs compétiteurs français et allemands. De même ils utilisent ces gouvernements pour empêcher la progression de l’intégration de l’Union Européenne, rivale des USA, et pour essayer d’introduire une distance entre l’Union européenne et la Russie.

• en Amérique latine, ils ont tenté de renverser le gouvernement réformiste de gauche de Chavez, et, sous couvert de la « guerre contre la drogue » frauduleuse, d’étendre leur assise militaire sur le continent.

Du fait de ces questions économiques profondes, on doit s’attendre à une intensification de l’agression militaire américaine dans la période à venir. Il n’y a aucune façon de persuader l’impérialisme américain et son administration de s’engager sur une voie plus raisonnable. La seule solution sera de les vaincre par la lutte.

Aussi la situation en Irak revêt-elle une signification non seulement régionale mais aussi stratégique. Une défaite du projet américain en Irak, c’est-à-dire l’utilisation pour la première fois dans la période récente, de la force militaire pour occuper un pays d’importance, saperait leur stratégie sur le plan mondial. Elle donnerait le message que la domination politique et militaire des USA n’est pas si incontestable que cela et qu’il n’est pas évident qu’ils réussissent à résoudre toutes les questions mondiales essentielles à leur profit. A l’heure actuelle l’Irak est le seul endroit du monde où une défaite significative de l’impérialisme américain puisse être infligée.
Aussi la tâche la plus urgente du mouvement mondial pour la justice sociale (du FSE et du FSI) doit être de lutter pour la défaite de l’agression américaine en Irak.

4) LE FSE ET LES CLASSES DIRIGEANTES IMPERIALISTES

Le FSE va constamment se trouver confronté à des situations politiques nouvelles. En effet, la lutte pour une justice sociale internationale est complexe. D’une part, il existe une myriade d’oppressions maintenues par le capitalisme contre lesquelles il faut se battre, et d’autre part la lutte à mener sera longue. Aussi est-il absolument impossible de prévoir précisément tous les événements, combinaisons et tendances qui se développeront.

Pour comprendre la situation politique internationale, il faut analyser les forces sociales qui opèrent au niveau mondial, c’est-à-dire la dynamique d’ensemble de la situation politique. Cette dynamique dépend de l’interrelation de tous les facteurs qui agissent sur le plan international ainsi que leur combinaison spécifique sur le plan national. Elle comprend certes l’ampleur du mouvement pour la justice sociale sans toutefois s’y réduire, de même que la seule évaluation des forces des opprimés et exploités ne suffit pas. Il nous faut prendre en compte l’ensemble des forces sociales en jeu.

Nous allons donc maintenant voir les trajectoires des différentes forces sociales existant sur le plan mondial.

L’internationalisation continue de l’économie mondiale

L’internationalisation croissante de l’économie capitaliste mondiale – appelée communément mondialisation – est à la base du développement social. Dès son origine, le système capitaliste fut international. Mais le 20éme siècle a démontré que la production capitaliste avancée s’est ainsi développée qu’elle ne peut maintenant fonctionner qu’à l’échelle internationale. Entre les deux guerres,alors que l’économie mondiale était atomisée et retranchée derrière les frontières des empires nationaux, le capitalisme a connu la plus grande crise économique de son histoire. C’est la deuxième guerre mondiale, et la création à nouveau d’une économie capitaliste mondiale de plus en plus intégrée grâce aux USA, qui a permis de relancer une croissance économique capitaliste soutenue. La mondialisation par conséquent, n’est pas un développement optionnel ni réversible. C’est la seule voie possible.

Tout projet de créer une économie purement nationale est utopique et se révélera incapable de résister à la pression du capitalisme mondial, au-delà d’un certain délai. En ce qui concerne les alternatives purement nationales, le projet stalinien, entre les deux guerres, d’une économie nationale autarcique planifiée, a montré que « le socialisme dans un seul pays » était, bien qu’à un prix social effrayant, plus à même de développer la production que ne l’était « le capitalisme dans un seul pays ». Le capitalisme dans un seul pays ou dans des empires nationaux isolés n’est plus viable. Pour qu’une économie quelle qu’elle soit puisse s’en sortir, elle doit utiliser les ressources de l’économie mondiale.

Ainsi, si l’économie chinoise, dans les 20 dernières année a pu se développer avec succès, ( permettant à des millions de chinois de sortir de la pauvreté), c’est parce qu’elle a su se servir des tendances économiques mondiales à ses propres fins, et non grâce à l’autarcie. Mais elle l’a fait en prenant bien soin de ne pas se subordonner aveuglément à l’économie mondiale; au contraire, grâce à la nationalisation d’une grande partie de son économie, elle a utilisé les tendances économiques internationales en vue de son propre développement. De la même manière Cuba a su utiliser les tendances internationales pour ses propres intérêts afin de relancer son économie après le choc dévastateur qu’a été pour elle, la fin de l’aide venant de l’ex URSS.

La bourgeoisie impérialiste américaine

Au cours des quelques décennies qui ont suivi la deuxième guerre mondiale, la classe capitaliste impérialiste la plus puissante s’est donnée un double objectif:

-tenter d’écraser la montée de la révolution coloniale qui avait mis fin aux empires capitalistes et renversé le capitalisme en Chine, au Vietnam et à Cuba.

– Et essayer de démanteler les empires de ses concurrents capitalistes, en particulier la Grande Bretagne et la France, qui étaient un obstacle à sa domination sur la majeure partie de l’économie mondiale. Ils ont cherché à établir un empire mondial sans colonies formelles.

De l’après guerre jusqu’à 1979, les USA se sont retrouvés sur la défensive. Le point le plus bas en a été les défaites en Chine, à Cuba et au Vietnam,et pour finir la vague de révolutions coloniales des années 79 avec le renversement du Shah en Iran et de la dictature somoziste au Nicaragua. Mais au moment de l’arrivée de Reagan, ils ont profité de la rupture entre l’URSS et la Chine pour lancer une contre-offensive visant à affaiblir et à détruire l’URSS – qui avait, à des degrés divers, fait alliance avec la vague révolutionnaire. Cette offensive contre-révolutionnaire a réussi.

La fraction dominante de la classe capitaliste américaine a évalué que sa victoire dans la Guerre Froide constituait un changement sans précédents en sa faveur au niveau des rapports de forces internationaux. Entre 1943, (défaite de l’armée allemande à Stalingrad), et 1979, l’impérialisme a essuyé des défaites sans précédents dans l’histoire, qui ont entraîné non seulement le démantèlement des empires coloniaux mais aussi lui ont imposé d’importantes contraintes sur sa façon d’intervenir directement et ouvertement dans les affaires internes des pays du tiers monde. Ces victoires mettaient fin à cinq siècles d’expansion coloniale et impérialiste, continue et toujours victorieuse, qui avait perpétré les plus grands crimes de l’histoire de l’humanité – la traite des esclaves, le pillage et l’appauvrissement de nombreux pays, et la réalisation dans plusieurs cas de ce qu’Hitler avait tenté, à savoir l’élimination par le génocide de peuples entiers.

Grisée par ses victoires après 1979, la fraction dominante de la classe dirigeante américaine garde le projet d’inverser une part plus substantielle de ce changement historique des rapports de forces. Elle s’est fixée comme but, ouvertement proclamé dans un certain nombre de cas, de construire un nouvel ordre mondial sous sa domination directe, et de régler toutes les questions essentielles en sa faveur. L’idéologie qui enveloppe ce projet est celle de « l’impérialisme bénin ». L’impérialisme américain prétend que seules quelques poches de résistance, certains Etats rebelles, et des réfractaires à toute réforme l’empêchent de réaliser cet ordre mondial qui garantirait le développement économique et social, la paix et la démocratie,. Pour écarter ces obstacles, il est légitime d’avoir recours à la force militaire « préventive » ou à tout autre forme d’action subversive, y compris des actions unilatérales. Il suffit que l’Etat américain ou les quelques Etats les plus proches de lui le jugent nécessaire. La guerre en Irak a été le banc d’essai de cette orientation politique.

Si la puissance économique et militaire autour de ce projet américain est vraiment forte, l’idéologie qui le sous-tend n’est qu’un tissu de mensonges. Il n’existe pas plus d’impérialisme bénin que de tigre végétarien. Les méthodes de l’impérialisme américain se sont avérées être les mêmes que celles de ses précurseurs européens. Elles incluent:

• le massacre de 2 millions de vietnamiens
• l’utilisation inutile de l’arme nucléaire au Japon
• les incursions militaires répétées en Amérique latine, au Moyen Orient et en Afrique
•l le bombardement systématique et gratuit de la Corée du Nord pour la détruire économiquement dans la phase ultime de la guerre sur cette péninsule.
• Le soutien de la grande majorité des régimes les plus répressifs et les plus odieux du monde: 4 décennies de soutien à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid jusqu’à ce que les USA soient obligés de l’abandonner, le soutien à Franco, à Salazar, aux régimes guatémaltèques successifs, à Israel, au Shah d’Iran, Pinochet, Marcos, Somoza, aux colonels grecs, et à l’Arabie Saoudite
• l’imposition de programmes économiques par le FMI et l’OMC qui se sont soldés par la mort de millions de personnes dans la plus complète indifférence alors que les problèmes étaient solvables.
• La réduction de milliards de personnes à la pauvreté et les dizaines de millions de morts causées par des maladies qu’on eût pu prévenir ou contrôler
• le harcèlement judiciaire de la population américaine noire
• la destruction de l’environnement au niveau mondial
• enfin l’empressement à utiliser la force militaire contre tous ceux qui s’opposent à lui

Les classes dominantes européennes et japonaises

Les classes dirigeantes européennes n’ont aucune objection morale à l’instauration d’un ordre mondial ouvertement impérialiste. Elles en ont été les précurseurs pendant plusieurs siècles et ont essayé de le maintenir ensuite dans les territoires ex-coloniaux qui avaient formellement gagné leur indépendance. Mais elles souhaiteraient être à la tête d’un tel ordre, ou le cas échéant; y participer de façon significative. Elles considèrent donc qu’il est dangereux que les USA le construisent unilatéralement – car ces derniers utiliseront ce pouvoir unilatéral pour résoudre les questions en leur faveur au détriment de leurs compétiteurs européens.

Aussi, la France et l’Allemagne, les deux Etats européens les plus importants, actuellement en accord avec la Russie, préconisent un condominium des Etats impérialistes, tel que l’ONU, pour mettre en place de tels projets impérialistes. Ainsi apparaissent des différences tactiques avec les USA, (par exemple en Irak) et à des phénomènes de concurrence économique intensifiée– comme entre l’euro et le dollar sur le statut du fond de réserve.

Confronté localement aux forces militaires chinoise et russe, le Japon est pour sa part incapable d’assumer, ne serait-ce que partiellement, un rôle indépendant des USA. A l’heure actuelle, l’impérialisme japonais se contente donc de reconstruire son potentiel militaire, d’écarter les obstacles politiques à son utilisation, de réhabiliter des idéologies ouvertement nationalistes, militaires et impérialistes, et d’établir les bases technologiques pour l’acquisition ultérieure d’armes nucléaires.

Quelle attitude adopter vis à vis des classes dominantes impérialistes?

A notre époque d’armes de destruction sans précédents, les crimes impérialistes à venir risquent de surpasser ceux du passé – allant jusqu’à l’utilisation d’armes nucléaires. Pour obtenir un soutien populaire et une légitimité à leurs projets, les impérialistes doivent promouvoir des idéologies et des mouvements politiques ultra réactionnaires. Le racisme et la xénophobie envahissent de plus en plus les médias des pays impérialistes. Afin de justifier l’idéologie impérialiste, on minimise l’importance de la perte d’une vie chez les arabes et autres peuples, on banalise et élimine l’expression de divers points de vue dans les médias, et on dégrade systématiquement la pensée, la science et la culture humaines.

La résistance des peuples et des pays à de telles politiques sera inévitable. Les tentatives de mettre en oeuvre ces projets feront entrer le monde dans une ère de conflits,de guerres et de crimes permanents. Aucune fraction des puissances impérialistes ne s’opposera de façon systématique à ces visées, cherchant avant tout à en tirer plus d’avantages que leurs concurrents.
Etant donné la nature et l’histoire des bourgeoisies impérialistes, aucun mouvement progressiste, y compris le FSE, ne devrait faire confiance à aucune de leurs fractions. Cependant dans nos luttes, il est possible et utile d’exploiter les divergences inter-impérialistes, voire de faire des alliances pratiques avec certaines fractions – ainsi le Brésil avec la France, l’Allemagne et la Russie contre la guerre en Irak, Cuba dans sa lutte contre l’encerclement américain, la Chine qui tente d’élargir son champ de manoeuvre économique et politique. De telles alliances sont cependant purement tactiques et ne signifient pas que tel groupe d’impérialistes soit plus progressiste qu’un autre. Chaque classe dirigeante impérialiste rêve au fond d’avoir le pouvoir qui lui permettrait d’atteindre le niveau de crimes des impérialistes américains.

Il est donc tout à fait acceptable de conclure une alliance tactique avec une classe dirigeante impérialiste pour défendre des opprimés et des exploités – par exemple avec les impérialismes français et allemand contre les américains en Irak. Mais, même dans cette lutte, les classes dirigeantes impérialistes seront un allié hésitant, incertain et lâche. Avant tout on ne peut leur faire confiance sur le plan stratégique. Notre but stratégique permanent doit être l’expansion des sphères d’organisation des exploités et des opprimés dans la plus complète indépendance vis-à-vis de toute fraction impérialiste. C’est dans ce cadre que les questions tactiques doivent être abordées.

5) LES TENDANCES POLITIQUES DANS LES PAYS SEMI COLONIAUX

Les classes capitalistes semi-coloniales

La mondialisation croissante de l’économie capitaliste a de façon générale miné et affaibli les classes bourgeoises semi-coloniales soumises à la pression impérialiste. Dans les secteurs décisifs de la production, elles sont incapables de soutenir la concurrence des multinationales qui, par conséquent, pénètrent de plus en plus leur marché intérieur et en prennent le contrôle. Les pays impérialistes sont en train de s’installer dans les Etats semi-coloniaux par le biais non seulement de la propriété privée mais aussi des mass medias, du marketing et de la culture. Mais pour lutter contre cette domination impérialiste, la mobilisation des masses populaires de ces pays est fondamentalement nécessaire, ce qui mettrait en péril les bourgeoisies semi-coloniales elles-mêmes. Aussi ces dernières adoptent-elles de plus en plus; soit une attitude servile devant l’impérialisme américain et ses relais directs (l’Egypte, l’Arabie Saoudite, la Jordanie, le Nicaragua et la Colombie), soit elles tentent de gagner une certaine marge de manoeuvre en exploitant les conflits d’intérêts inter-impérialistes, en particulier entre la France et l’Allemagne contre les USA. C’est la voie suivie par le Brésil, l’Argentine, et l’Afrique du Sud. De telles divisions peuvent augmenter les marges de manoeuvre des mouvements populaires.

Dans la plupart des cas, les bourgeoisies semi-coloniales continuent d’attaquer leurs propres populations au niveau économique et social quand bien même elles s’engagent dans des conflits partiels contre l’impérialisme. Cependant dans un petit nombre de cas, le plus récent étant celui du Vénézuela, des secteurs de la bourgeoisie semi-coloniale sont entraînés dans des conflits importants contre l’impérialisme, impliquant de larges mobilisations populaires.

Les mouvements politiques des bourgeoisies semi-coloniales.

Dans un tel contexte international, les grands mouvements réformistes internationaux des années 50 à 70 (Bandung, le Mouvement des Non Alignés) se sont effondrés, échouant comme forces susceptibles d’avoir un impact, et avec elles, la plupart des dirigeants de type bourgeois réformistes (Nkrumah, Sukharno, Nasser, Nyrere) qui composaient leurs bases politiques sur le plan national. Les tentatives de créer des regroupements sur une base similaire en Amérique latine par exemple, n’arrivent pas fondamentalement à changer la situation internationale, et n’ont pas le dynamisme des mouvements non alignés des années 54 à 79.

Tout mouvement international pour la justice sociale devra donc se baser sur, et impliquer, des forces populaires beaucoup plus directement que ne l’ont fait les mouvements non-alignés de l’après deuxième guerre mondiale. Ainsi, le FSI et le FSE ont certes reçu le soutien de partis réformistes, particulièrement au Brésil, ainsi que de secteurs de la bourgeoisie impérialiste comme en France, mais ils sont beaucoup plus liés aux mouvements sociaux et populaires que ne l’était le mouvement des non-alignés.

Quand les bourgeoisies semi-coloniales prennent des mesures qui correspondent aux besoins de l’ensemble de la population, ou qui vont à l’encontre des intérêts impérialistes, il est nécessaire de conclure avec elles des accords pratiques afin de poursuivre ces luttes. Ainsi au Vénézuela ceux qui se battent pour une justice sociale doivent totalement soutenir Chavez qui résiste aux tentatives de l’impérialisme et de la droite locale de le faire partir. Au Brésil, tout en s’opposant à l’orientation économique et sociale droitière du gouvernement Lula, il faut soutenir son opposition à la guerre des USA en Irak et
aux politiques impérialistes de l’OMC.

La petite bourgeoisie urbaine et rurale des pays semi-coloniaux

Dans les pays semi-coloniaux, les rapports entre la classe ouvrière et le mouvement pour une justice sociale, avec la petite bourgeoisie des villes et des campagnes sont de la plus haute importance. Ces couches sociales, en particulier la paysannerie, ont été l’une des bases essentielles de l’anticolonialisme progressiste. Ils ont soutenu ou constitué la base populaire de masse de partis bourgeois réformistes (mouvements africains anti-coloniaux, Congrès Indien, Peron), de mouvements révolutionnaires petits bourgeois (FNL algérien), et dans certains cas de partis ouvriers (Parti communiste chinois, Castro). Cependant, les défaites essuyées par la classe ouvrière depuis les années 1970 les ont, dans certains cas, fracturé ou affaibli. Ainsi des sections de la petite bourgeoisie urbaine et de la paysannerie se sont mises à soutenir ouvertement les forces pro-impérialistes (Parti d’Action Nationale mexicain – PAN) tandis que certains courants se mobilisent contre l’impérialisme au nom d’idéologies, religieuses ou autres. Dans ce dernier cas, le mouvement pour la justice sociale, tout en étant en désaccord avec ces idéologies, se doit d’entreprendre des actions communes avec eux dans la lutte contre la bourgeoisie impérialiste qui représenté la plus puissante menace contre l’humanité. Un des buts fondamentaux du mouvement reste que ces petites bourgeoisies rurales et urbaines épousent de nouveau une orientation progressiste radicale car la classe ouvrière des pays semi-coloniaux n’a de chance d’être victorieuse qu’en s’alliant à elles.

6) LA SITUATION DANS LES PAYS IMPERIALISTES

L’orientation générale des bourgeoisies impérialistes a déjà été décrite ci-dessus. Cependant la classe capitaliste des pays impérialistes représente une si infime partie de la population qu’elle ne peut maintenir sa domination qu’en gagnant le soutien de larges couches sociales. Pour ébranler ces bourgeoisies, il faut donc les couper de ce soutien social.

La petite bourgeoisie des Etats impérialistes

Dans de nombreux pays impérialistes, la mondialisation entraîne l’élimination ou l’écrasement d’un nombre important de petites entreprises. Mais, du fait des victoires importantes remportées ces dernières années par les impérialistes et de l’échec des directions social-démocrates et communistes à les contrecarrer, des secteurs du petit capital se retournent non pas contre leurs vrais oppresseurs mais contre d’autres pays, et aussi contre les minorités ethniques et raciales de leur propre pays. Cette tendance se développe d’autant plus qu’elle converge avec le besoin des bourgeoisies impérialistes de rassembler derrière elles la population sur des projets réactionnaires, en utilisant la concurrence inter-impérialiste. Ainsi, une résurgence d’idéologies et de mouvements politiques réactionnaires nationalistes, racistes et fascistes a lieu dans la plupart des pays impérialistes- sur le modèle de Lepen qui joue le rôle de figure internationale dirigeante.

Ces courants qui préconisent ouvertement ou implicitement le retour aux régimes fascistes des années 30, sont complètement réactionnaires. Bien que les secteurs dominants de la bourgeoisie impérialiste ne sont pas obligés de rechercher – et ne le font pas activement – l’instauration de régimes fascistes dans leurs propres pays, ils trouvent néanmoins ces mouvements très utiles et par conséquent leur donnent une aide importante par le biais des mass médias et autres moyens à leurs disposition. Une lutte en profondeur et pied à pied contre ces forces qui cherchent à rabaisser la majorité de l’humanité à un statut de sous-humain, et à écraser tous les mouvements d’exploités et d’opprimés, sera un champ permanent d’activités dans les années à venir et devra se faire dans l’unité.

Le libéralisme et la social-démocratie

Dans les pays impérialistes, le libéralisme et la social-démocratie dépeignaient la guerre froide comme une lutte entre d’une part un système communiste totalitaire et agressif, et de l’autre des forces « démocratiques », pacifiques et défensives qui étaient en faveur de la libre entreprise et de l’économie mixte sous hégémonie américaine. La victoire de ces dernières allait ouvrir une ère de paix, et de progression politique et sociale qui assurerait un progrès pour l’humanité. Il fallait donc fondamentalement soutenir les orientations des pouvoirs impérialistes tout en critiquant les « excès » de leurs méthodes et de certaines de leurs actions isolées.

Cette analyse a entièrement été réfutée par les événements. Loin d’être pacifique, défensive et libérale, la victoire des USA dans la guerre froide a été suivie d’une recrudescence d’agressions militaires, de tentatives de mettre en place des systèmes tels que le National Missile Defence l’autorisant à agresser nucléairement d’autres pays, d’attaques contre les acquis sociaux et politiques des secteurs les plus opprimés et exploités de la population et d’une résurgence du racisme et du nationalisme réactionnaire dans de nombreux pays. Les événements depuis l’effondrement de l’URSS confirment que la guerre froide n’était rien d’autre qu’une agression impérialiste par les USA et ses alliés contre une Union Soviétique qui assurait un certain contre poids militaire et politique. La direction de l’ URSS n’était pas engagée dans une « agression » mais a, au contraire, montré sa faillite à mener une lutte conséquente et résolue contre l’impérialisme – sacrifiant à l’étroitesse de ses intérêts bureaucratiques, non seulement la population de son pays mais aussi d’autres luttes. La direction bureaucratique de l’Union Soviétique, en alliance avec l’impérialisme, a suivi ce cours jusqu’à sa conclusion logique: à savoir elle a été la principale force qui a restauré le capitalisme sur le territoire de l’URSS – condamnant par là la population de ces pays à des conditions économiques, sociales et politiques pire que celles qui existaient avant 1991.

Suite aux victoires de l’impérialisme à partir des années 1980, des sections des directions social-démocrates ont adopté des positions néo-libérales, du type de celles de Blair, tandis que la plupart des autres prenaient des positions social-démocrates de droite (Jospin, Schroeder). Dans la plupart des pays, les partis Communistes ont été marginalisés.

Malgré sa direction bureaucratique, la désintégration de l’URSS et la restauration du capitalisme sur son territoire ont représenté une énorme défaite nationale et internationale qui a entraîné une énorme régression sur ces deux plans. Au sein de l’ex URSS, le niveau de vie et la protection sociale ont brutalement chuté. L’espérance de vie masculine a baissé de dix ans. Des millions de femmes ont plongé dans la pauvreté et la prostitution. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées dans des guerres en Azerbaïdjan, Tchétchénie et Géorgie. Et la population de Russie est aujourd’hui de deux millions moins importante qu’elle aurait été si sa progression s’était poursuivie au rythme antérieur. Sur le plan international, cela a signifié l’élimination du plus puissant Etat qui avait la capacité matérielle d’aider les luttes contre l’impérialisme: par exemple, il a largement contribué à la victoire du Front National Vietnamien sur les USA. La destruction de l’URSS a été suivie d’une vague réactionnaire à l’échelle mondiale qui continue encore.

La place des partis communistes et sociaux-démocrates dans la société

Les partis sociaux-démocrates, et dans une moindre mesure les partis communistes, continuent à bénéficier du soutien de la majeure partie de la classe ouvrière. Les forces à leur gauche ne sont soutenus que par 5 à 10% de la population, souvent moins, dans les pays les plus avancés économiquement. Il y a bien plus de forces qui rompant avec les partis traditionnels ont été à l’extrême droite qu’elles n’ont été vers la gauche – une indication de l’état actuel réel des rapports de forces.

Tant que la majorité de la classe travailleuse continue de soutenir les partis communiste et social-démocrate, ceux qui se battent pour la justice sociale ne peuvent entraîner dans l’action la majorité de la population qu’en concluant des accords pratiques avec ces partis ou avec des courants à l’intérieur de ces partis. Il faut donc essayer d’entrer dans des actions unitaires avec ces forces contre l’impérialisme et le capitalisme, tout en se battant en même temps contre les politiques droitières des directions communistes et social-démocratiques.

L’émergence d’ailes gauches au sein des partis réformistes

A cause du caractère de masse des organisations social-démocrates et communistes, tout regain de combativité populaire les touchera automatiquement et produira des courants de gauche en leur sein avec lesquels des actions unitaires devront être menées non seulement dans la lutte contre les impérialistes mais aussi contre les ailes droites de ces partis. La faiblesse générale des courants de gauche au sein des partis communistes et social-démocrates ne signifie pas qu’ils seront complètement contournés en cas de lutte; ainsi le parti travailliste va continuer à exister comme le parti de masse de la classe ouvrière en Grande Bretagne; mais cette faiblesse des courants gauches reflète le rapport de forces défavorable.

Une des questions tactique les plus importantes que doit résoudre le mouvement pour la justice sociale est de savoir analyser la nature de chaque situation spécifique et donc des luttes et des revendications, pour définir les bases sur lesquelles se battre dans l’unité.

7) L’UNITE DANS L’ACTION

Les victoires remportées par l’impérialisme à partir des années 80 ont désorienté les classes travailleuses de la plupart des pays et tous les militants anticapitalistes, et dans de nombreux cas ont gravement affaibli leurs organisations. Le nombre de syndiqués a énormément chuté dans presque tous les pays. Au Japon, les partis capitalistes de droite ont réduit les anciens partis ouvriers à des groupes relativement marginaux. Aux Etats Unis les syndicats, sauf dans le secteur public, ont pratiquement été marginalisés. La majorité des partis communistes a vu leur nombre se rétrécir, et dans certains cas, comme en France une partie importante de leur base sociale la plus opprimée a été gagnée aux organisations fascistes et racistes. Les courants les plus droitiers ont pris la direction des partis sociaux démocrates, et partout ont eu lieu des privatisations et des remises en cause des acquis sociaux fondamentaux comme le gouvernement Blair l’illustre brillamment.

Après tant de défaites d’une telle ampleur, la résistance acharnée contre l’impérialisme d’un certain nombre de couches sociales, certes importantes mais minoritaires à partir du milieu des années 1990, ne pouvait se faire que sur des questions assez diverses. Celles-ci ont naturellement généré différentes idéologies, tout en en étant elles-mêmes le reflet, et des stratégies et tactiques différentes basées sur ces expériences. Une période prolongée de luttes, inévitable étant donné le caractère de plus en plus profond de l’offensive impérialiste, aura donc lieu avant que ne soit largement adoptée une stratégie commune capable d’infliger une défaite soutenue aux capitalistes. Le mouvement international contre la guerre en Irak, le FSE et le FSI sont des pas importants dans cette direction.

Dans les nombreuses luttes actuelles et à venir, le principal critère pour juger les forces en présence n’est pas l’idéologie ou les positions théoriques proclamées mais les positions concrètes qu’elles prennent sur les questions immédiates et importantes des luttes sociales. Ceci doit être reflété dans le ton des discussions sur les différences et les tactiques. Socialist Action souhaite s’engager à la fois dans des débats mais aussi dans des actions unitaires avec toute une série de forces en lutte. C’est pourquoi elle soutient la tenue du Forum Social Européen à Londres en 2004. La discussion nécessaire et inévitable qui aura lieu ne doit pas empêcher l’unité dans l’action contre l’ennemi capitalisme commun. Les larges masses, voire les couches militantes les plus avancées ne doivent pas juger les opinions au sein du mouvement pour une justice sociale, essentiellement du point de vue de leur idéologie mais surtout en fonction de leur propositions pratiques pour la lutte sociale. La condition essentielle pour être une direction politique n’est pas sa capacité à produire des théories et des analyses mais sa capacité à diriger de grandes forces sociales en lutte. L’analyse et la théorie ne sont importantes qu’en tant qu’elles mènent à une lutte politique plus efficace, et non parce qu’elles s’y substituent.