Le Vénézuela et le socialisme du 21éme siècle

First published: May 2006

La visite de Chávez à Londres à la mi-mai a donné l’occasion d’approfondir notre compréhension de nombreux éléments de la révolution vénézuelienne. Les principaux points sur lesquels Chávez a insisté dans son discours dans le meeting de solidarité à Camden Town Hall le 14 mai ont été particulièrement instructifs.

Premièrement revenons sur des notions de base. Ce qui est en train de se passer au Vénézuela est la première tentative consciente de créer une société socialiste depuis la révolution sandiniste au Nicaragua. C’est donc aussi la première lutte offensive à un niveau étatique depuis plus de 25 ans. Ceci est déjà considérable. Après un quart de siècle, la classe ouvrière est en train de mener une lutte directe pour obtenir le pouvoir d’Etat. Qui plus est, la révolution vénézuelienne a la particularité d’être la première prise du pouvoir étatique victorieuse par le biais essentiellement d’une insurrection urbaine, depuis la révolution russe de 1917 et ses suites immédiates.

Evidemment le moment décisif de l’insurrection urbaine au Vénézuela a démarré de façon défensive, par la défaite du coup d’Etat d’avril 2002, mais ce n’est pas la forme qui est décisive. La question essentielle est que plus d’un million de gens soient descendus dans la rue, certains armés, contre la tentative de coup d’Etat militaire. Grâce à cette insurrection, le haut de la hiérarchie militaire qui soutenait le coup d’Etat a été isolée et écrasée de façon décisive, et les soldats de la base ont rejoint le camp de l’insurrection. Cela a eu deux conséquences : d’une part, c’était l’occasion unique pour la révolution vénézuelienne d’écraser la réaction militaire, c’est-à-dire le coeur du pouvoir d’Etat capitaliste, d’autre part un certain nombre de difficultés sont apparues – des secteurs du pouvoir d’Etat hors de l’armée, certains bidonvilles et quartiers ouvriers sont restés organisés, voire contrôlés par des forces totalement hostiles à la révolution. Ceci est aussi vrai pour une grande part des services publics, de la police, des medias, des entreprises etc. Le processus en cours depuis l’insurrection d’avril 2002 inclut par conséquent l’extension du pouvoir révolutionnaire à des couches de plus en plus larges de la société – notamment dans le secteur pétrolier.

Que le coeur de la révolution vénézuelienne ait été une insurrection urbaine la différencie des révolutions qui après 1917 ont renversé le capitalisme.

La révolution chinoise, la révolution vietnamienne, les révolutions cubaines et yougoslaves étaient toutes basées sur une guerre de guerrilla rurale – souvent de type prolongé. Elles ont combiné les tâches de la révolution démocratique bourgeoise et des révolutions socialistes de façon spécifique : les paysans ont mené une révolution démocratique bourgeoise dans les campagnes qui a fait voler en éclats l’appareil d’Etat bourgeois et permis la construction d’un pouvoir ouvrier pour détruire le capitalisme dans les centres urbains. Si on tient compte de cette origine, les acquis objectifs de ces révolutions sont énormes : l’expulsion de l’impérialisme hors de la Chine, l’unification de ce pays, la libération des vietnamiens de la domination des impérialismes français et américain, la défaite du fascisme en Yougoslavie, l’alphabétisation de tous, la création de services sanitaires et d’aide sociale, des avancées énormes dans la place des femmes.

Cependant le caractère extrêmement sous développé, en particulier de la Chine et du Vietnam, au moment de la révolution, et le caractère essentiellement militaire bureaucratisé des organisations qui ont dirigé ces luttes etc, ont fait que ces gains énormes n’ont pu être que partiels et que ces partis n’ont pas pu fonctionner et se développer comme des outils universels de libération du genre humain. Des préjugés nationaux étroits furent maintenus ; la place des femmes, bien que grandement améliorée, fut loin d’être adéquate ; des positions réactionnaires furent adoptées sur des questions telles que les droits des homosexuels, etc. Ceci était non seulement incorrect en soi mais de plus cela a limité l’attraction qu’aurait pu avoir ces révolutions sur d’autres pays.

Le caractère urbain de la révolution vénézuelienne est lié au fait que c’est une société qui est dans un état de développement économiquement plus avancé que ne l’étaient la Chine et le Vietnam du temps de leurs révolutions. Cela signifie que dès le départ la révolution a non seulement répondu aux besoins économiques et sociaux fondamentaux du peuple vénézuelien mais qu’elle est un instrument bien plus avancé pour la libération universelle du genre humain. Dans son discours à Londres, Chavez a longuement parlé de la place des femmes, de la lutte contre le racisme tout en soulevant aussi des questions telles que les droits des handicapés. Le maire de Caracas a érigé un drapeau déclarant la ville « zone libérée de l’homophobie ».

Il est aussi évident que la lutte au Vénézuela est intrinsèquement, et consciemment, liée aux luttes internationales qui ont lieu dans le monde.

Jusqu’à présent la transformation sociale du Vénézuela a pu se dérouler tout en maintenant les droits démocratiques (la principale menace pour ceux-ci viendrait d’une intervention militaire extérieure, d’une guerre civile etc). Le processus en cours combine donc le progrès social et la démocratie, ce qui est un modèle profondément attractif pour tous les pays.

Ces caractéristiques permettent d’identifier clairement la nature des forces qui dirigent la transformation sociale, la révolution au Vénézuela. Il ne s’agit pas d’un processus où on se retrouve dans la lutte contre l’impérialisme, ou un pire ennemi, à côté de forces avec lesquelles nous sommes en contradiction et avons des désaccords fondamentaux. Ainsi en était-il de la nécessité absolue de se battre du même côté que Staline contre l’invasion nazie de l’Union Soviétique, ou de Khomeini contre le Shah d’Iran. Le courant dirigeant le processus vénézuelien est un courant politique avec lequel on s’identifie et auquel on appartient.

Cela signifie-t-il que la victoire est certaine, ou qu’un tel courant ne changera pas de nature en cas de défaites ? Pas le moins du monde. La victoire n’est jamais certaine et la défaite toujours possible. Cependant cela veut dire que sur la planète, il y a maintenant deux endroits, et un même courant politique auquel on appartient et on s’identifie – Cuba et le Vénézuela. Le noyau insurrectionnel urbain du courant révolutionnaire vénézuelien crée une dynamique qui en fait la force ayant le plus grand potentiel pour lancer un appel aux populations des pays économiquement avancés à émerger pour une période prolongée.

Toutes les conclusions politiques découlent de cela.

Le 17 mai 2006